Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Ce matin, vous arrivez avec une proposition de loi. Vous voulez sévir, vous voulez interdire. Qu’est-ce qui vous arrive ?
Ce n’est pas dans ma nature de prôner la réglementation et l’interdiction. Mais ce week end, une actualité a agi sur moi comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La mairie de Ouistream a installé sur la plage des distributeurs de crème solaire gratuite. Et je me suis dit qu’il était temps que ça s’arrête.
La crème solaire ?
Non. L’utilisation par les élus, les collectivités, de l’argument de la gratuité. Il faut l’interdire. Ces derniers mois, des collectivités ont donné des fournitures scolaire gratuites, des vélos gratuits, des permis de conduire gratuits, des paniers de légumes bios gratuits aux femmes enceintes. Comprenez moi bien : je ne veux pas discuter ici du bien fondé de ces politiques publiques (même si la crème solaire gratuite, c’est infantilisant). C’est un autre sujet. Ce qui m’énerve, c’est le mensonge de la gratuité.
Vous voulez interdire l’utilisation du mot gratuit comme argument de politique publique.
Oui. Pour la simple raison que ce qui est gratuit ne l’est pas. Le contribuable paie. Quand un élu prétend qu’une chose est gratuite, il capte l’effort financier de tous pour son profit politique personnel. Ca ne coûte pas cher d’être démago ou clientéliste avec l’argent d’autrui. On devrait obliger le maire de Ouistreham à afficher sur ses bornes à crème solaire le coût pour ses administrés. Une telle mesure forcerait les maires à être plus respectueux de ceux qui financent leurs fantaisies. La gratuité est insultante pour les contribuables et les citoyens : elle efface totalement leur effort, pire, elle le dénigre, car ce qui est gratuit n’a pas de valeur.
Cette réflexion sur la gratuité va au-delà des gadgets comme la crème solaire
Oui. L’école n’est pas gratuite : elle est coûteuse, mais offerte comme une opportunité pour chacun de s’élever. Et c’est très bien. Les soins médicaux ne sont pas gratuits, ils sont chèrement consentis pour améliorer le bien commun. Dire ce que cela coûte, c’est rappeler que l’éducation et la santé publique méritent le plus grand respect.
Quand on parle de marketing, tout le monde connaît cette phrase terrible : quand c’est gratuit, c’est toi le produit. C’est bien pire quand les pouvoirs publics et les élus font miroiter la gratuité. Le citoyen, ou plutôt son vote, est bien le produit, que les élus achètent avec des verroteries. Mais il est aussi celui qui paie les verroteries. Autrement dit, il est doublement pigeonné par l’arnaque de la gratuité.